30.10.05

Pusillanisme

Je dois avouer que je suis partagé.

D'ailleurs, lorsqu'on y prête un tant soit peu attention, partagé est un mot intéressant.
Avoir un avis si peu assuré qu'il épouse de fait les deux facettes d'une même médaille.
Enfin, c'est ainsi que je m'en définis le sens.
Ne pas savoir s'il faut en rire ou en pleurer.

On ne se rend jamais vraiment bien compte, d'ailleurs, du sens caché que revêtent les mots que l'on emploie, de l'implication qu'ils demandent et qu'on endosse inconsciemment.
Le témoin et ses couilles latines, le travail et ses trois pointes, latines également.
Signer des chèques en blanc à de subtils mécanismes ancestraux avec désinvolture et gaucherie.

Bref.

J'étais donc vaguement affalé devant l'écran, ingurgitant passivement ce flux lénifiant d'instants factices de procuration que nous vivrons jamais.
Celà devait être vulgaire, ou indécent, vraisemblablement les deux, enfin toujours est-il que pris par des contraintes bassement matérielles, j'avais manqué le mouvement cathartique qui finissait d'irradier à l'écran et ma curiosité titillée éprouvait l'impérieux besoin de savoir de quoi il avait bien pu en retourner.

Naïvement et dans un pur élan candide, j'ai alors appuyé sur le bouton de marche arrière de la télécommande.
Théoriquement en vain, puisque je ne suis en aucun cas nanti d'un mécanisme d'enregistrement en mesure de répondre à une telle attente.
Je voyais cela plutôt comme petite blague à usage intime, comme lorsqu'on s'emploie à méticuleusement dissimuler ses clefs pour le prochain moment urgent à venir.
Quelle ne fût pas ma stupeur lorsque, loin de rester inactif, le poste de télévision remonta sagement le fil de l'émission pour rejouer avec aisance la scène souhaitée.
En soi, certes, rien de révolutionnaire.
Disons, un mécanisme subtilement dissimulé, auquel on avait jamais vraiment prêté attention ?
Comme la course du dératé, comme le baragouinage breton.

Ce qui m'a vraiment frappé, c'est mon émerveillement sincère devant ce que j'ai pris durant quelques instants pour un pur moment de magie.
Une faille de la réalité dans laquelle on s'insère avec délice.
Sauter par la fenêtre, un parapluie à la main.
Mettre son doigt dans le canon d'un fusil.
Pendant quelques clignements de cils, une demie seconde tout au plus, l'enthousiasme de croire qu'il était possible de remonter le temps, qu'il était possible de reprendre ces scènes de nos vies que l'on a lamentablement foirées, celles que nous rejouons inlassablement dans nos têtes.
Revenir dans le temps et avoir les bons mots, le bon geste.
Investir le Deus ex machina qu'il nous arrive d'implorer parfois jusqu'au dernier souffle.

Juste l'espace d'un mouvement de paupière, ressentir l'un des moments les plus heureux jamais vécu depuis longtemps.
Juste le frisson d'une légère pointe d'adrénaline déjà disparue.

Un battement de coeur en moins à effleurer l'inexorable.
A caresser la complexité subtile du quotidien et la désinvolture avec laquelle on s'acharne à la bafouer.

Ne pas savoir s'il faut se dépêcher d'en rire avant d'en pleurer.

Partagé.



2 Comments:

j'l'ai dit, j'l'écris :
J'adore.

By Anonymous Anonyme, at 1:33 PM  

Vous devriez voir la gueule du bracelet que ça m'a couté pour la soudoyer.

By Blogger Découper selon les traits, at 10:25 PM  

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